Juliette Fontaine

 

"Il semble que la conscience soit en nous liée au désir sexuel et à la faim ; mais elle pourrait ne pas leur être liée. On dit, il y en a qui disent que la conscience est un appétit, l'appétit de vivre ; et immédiatement à côté de l'appétit de vivre, c'est l'appétit de la nourriture qui vient immédiatement à l'esprit ; comme s'il n'y avait pas des gens qui mangent sans aucune espèce d'appétit, et qui ont faim. Car cela aussi existe d'avoir faim sans appétit ;

(…)

[C'est aussi] l'urgence pressante d'un besoin : celui de supprimer l'idée (…) et de faire régner à la place la manifestation tonnante de cette explosive nécessité : dilater [la nuit de mon corps interne], du néant interne de mon moi qui est nuit, néant, irréflexion, mais qui est explosive affirmation qu'il y a quelque chose à quoi faire place : mon corps."

Antonin Artaud

 

 

 

 

 

2 dessins sensibles - 2000

Série de 50 dessins - 12.5 18 cm / 17.5 24 cm / 24 30.5 cm

 

 

 

Ces dessins sont des cartographies intérieures.

Ils sont réalisés avec de l'acrylique blanche et noire, du brou de noix, du crayon à papier et du feutre rouge, sur du papier photographique.

Avec le temps et la lumière du jour, le papier change de teinte, en passant lentement du blanc à une couleur violacée assez foncée. Aussi, les matières disparaissent petit à petit, plus ou moins en résistance suivant la matière (le brou de noix résiste mieux que le feutre rouge), "dévorées" par les substances chimiques du papier photographique.

Dans quelque temps (combien de temps ?), toutes les matières auront peut-être disparu.

 

 

 

 

 

2 aquarelles Les litanies d'automne - novembre 2000

série de 50 aquarelles - 14 20cm

 

 

 

 

 

Juliette Fontaine

 

 

Fenêtre sur...

et seuil

 

(le livre nomade)

 

 

 

Opuscule du Livre nomade

 

Le nomadisme et l'errance seraient l'expression d'un autre rapport à l'autre et au monde, moins offensif, plus affectueux, quelque peu ludique, et bien sûr tragique, reposant sur l'intuition de l'impermanence des choses, des êtres et de leurs relations.

Sentiment tragique de la vie qui, dès lors, s'emploiera à jouir, dans le présent, de ce qui se donne à vivre au quotidien, et trouvera son sens dans une succession d'instants, précieux de par leur fugacité même (…)

On peut dire que le propre du pouvoir et de notre société, dans son souci de gestion et de productivité, est de se méfier de ce qui est errant, de ce qui échappe au regard…

 

 

 

A l'atelier, juillet 1999,

 

Fenêtre sur… et seuil est un livre nomade. 10 exemplaires existent, dont un exemplaire sédentaire qui demeure à l'atelier. Les 9 autres voyagent par les mains errantes de 9 personnes ; à chacune a été donné un exemplaire depuis le mois de septembre 1998. L'exemplaire leur appartient. Ces promeneurs sont appelés les passeurs, ou encore les stalkers. Ils font voyager le livre nomade en le glissant dans leur valise au cours de leurs propres périples, ou bien en l'envoyant à des personnes de leur choix ; le livre nomade leur revenant au bout d'un temps indéterminé ou qu'ils auront déterminé comme bon leur semble, pour l'envoyer à nouveau par monts et par vaux.

 

Chacun des 9 exemplaires du livre nomade est constitué d'un texte écrit à la deuxième personne du singulier, et de photos. 15 "tickets de voyage" se trouvent à la fin de chacun.

A chaque retour d'un voyage, un ticket est rempli par le voyageur, ou le stalker, et envoyé à mon atelier. Ces tickets de retour accumulés avec le temps permettront la création de cartographies qui écriront les multiples chemins empreintés par le livre nomade.

Ces cartographies sont en devenir, attendant que tous les tickets de voyage soient remplis et elles formeront certainement un autre livre, un petit atlas des vagabondages qui se joindra à l'exemplaire sédentaire de l'atelier. Ce travail sera présenté dans l'atelier ou ailleurs, à tous les voyageurs et à d'autres sédentaires, et tous les passeurs en auront des traces sous une forme ou une autre.

 

Le livre nomade a déjà parcouru de nombreux chemins . En France, certains arrondissements de Paris et sa banlieue, les régions du Rhône, de l'Indre, de la Saône et Loire, de la Normandie, de la Bourgogne, le Limousin, la Bretagne et la Sologne. A l'étranger, le Danemark, l'Angleterre, le Québec, le Canada, l'Arménie, la Chine, la République Tchèque, la Syrie, les Etats-Unis, le Tibet, l'Inde et la Russie…

 

Bon voyage à vous

 

 

 

 

Opuscule (bis) du Livre nomade

  

A partir d'un premier élément comme première pierre, nécessaire pour bâtir des réseaux : l'autre ; la rencontre, l'échange, le don, la main. La circulation, les ramifications, les rhizomes.

 

A partir d'un second élément : le temps. Un travail qui demande du temps. Dans son étirement imprévisible, impalpable, parfois difficilement vivable. Dans son mouvement et ses métamorphoses. Dans sa patience et son impatience. Dans son immobilité et ses débordements. Dans ses lacunes et ses oublis. Dans son lit.

 

A partir d'un troisième élément, bipolaire s'il se peut : le territoire. Le territoire et le dépassement des frontières. Territoires et frontières entendus au sens géographique, peuplés des voyages et des nomadismes, des routes et des cheminements traversiers ; mais aussi entendus comme territoires et frontières personnels, en embrasure, en entrebâillement, en ouverture libre.

 

 

 

 

  Ticket de voyage du livre nomade

 

Livre de : quatre extrait du manuscrit l'opuscule et quelques photos du "livre nomade"

 

Envoyé à : (nom) Gra#ias

(adresse) Internet

 

Envoyé le : avril 2000

Rendu le : sans date de retour

 

 

Ticket du livre nomade à renvoyer à Juliette Fontaine à l'adresse suivante :

Atelier 1, 1 allée Gustave Courbet, 93300 Aubervilliers / juliette.fontaine@free.fr

 

 

 

 

 

 

 

Extraits du texte du Livre nomade

 

Extrait 1

 

tu dis, une violence comme une taupe, souterraine, insidieuse. pas une atteinte directe au corps, pas un assaut de l'extérieur. non. c'est la douleur qui se fait ressentir comme un écho. une onde qui se propage à l'intérieur, qui prolifère de l'intérieur. c'est l'écho du coup qui est bien plus violent. tu ne sais pas d'où vient cette douleur intérieure. tu ne sais pas quand tu as reçu le coup. tu ne sais pas où tu as reçu le coup, à quel endroit du corps. sans cause déterminée, sans contexte, sans paysage, sans réminiscence, sans main pour toucher. elle reste là, se diffuse, s'oublie parfois, pour réapparaître comme la traîtrise d'un coup de lame inattendu, dans le dos. comme l'ouverture brutale de la fenêtre de la chambre obscure sur la lumière aveuglante du monde.

 

 

Extrait 2

 

tu dis, dans le silence. intrusion des mots, invasion du langage. tu dis, trop de signes, panier de crabes. tu dis, désapprendre. tu dis, libérer la sensation.

sur le visage, ce sont les mots imprimés, comme les traces d'un rêve, comme les bribes de la conscience, comme la formulation sourde d'une pensée. tu dis, mots, amoncellement d'os.

 

 

Extrait 3

 

tu dis, écrire avec/sur ton corps. ne plus, pour un instant au moins, rôder comme un animal sauvage, étranglé par l'inquiétude de quitter son territoire. tu dis, trouer le mur. tu dis, arpenter au-delà des limites rassurantes. tu demandes, dans l'ombre de la peur. vas-tu y laisser la peau ? et les os ? et les organes ? et l'esprit ? tu dis, à n'importe quel prix, taire la soif.

 

 

Extrait 4

 

tu dis, les soubassements de l'être. tu dis, les noyaux du corps. et s'appuyer contre la charpente. tu dis, être à l'affût. le monde écrase des gens à l'appel, c'est terrible. tu dis, déboisement(s). porté par la faim et la solitude.

 

 

 

 

 

 

 

 

Extraits (texte) du film "En quatre tableaux"

 

 

Premier tableau : "je veux toucher..."

 

je veux toucher le lieu de l'interstice

je veux toucher les entrailles même de la terre

je veux toucher ce qui veut se faire chair

je veux toucher l'épaisseur et l'invisibilité d'une même main

je veux toucher une peau qui me regarderait

je veux toucher l'obsession de la vision

je veux toucher la tâche

je veux toucher la presque-caresse de mon autre main

je veux toucher l'indice du vivant

je veux toucher ce qui s'évanouit

 

 

 

Troisième tableau : "elle me dit..." I

 

 

 

elle est assise dans l'herbe sur le bord du chemin, et regarde la plaine qui s'éloigne.

 

elle me dit :

- "je cherche une couleur inconnue, que ma mémoire ne pourrait pas définir."

 

elle plonge sa main droite dans l'herbe touffue.

 

elle me dit :

- "comment peut-on supporter le monde tel qu'il est fait ?"

 

elle caresse la terre et les herbes, d'un geste lent.

 

elle me dit :

- "chaque jour, chaque chose que je fait doit m'être nécessaire. je tente aussi chaque jour d'économiser mes gestes pour préserver ma liberté de décider lesquels me semblent justes."

 

elle tourne la tête vers moi, et me sourit. son visage est lumineux mais je remarque le froncement de sourcils habituel.

 

elle me dit :

- "parfois je sens que je peux tomber d'une seconde à l'autre dans la folie ; qu'elle peut devenir le dernier recours pour supporter la perception très aiguë que j'ai du monde; qu'elle serait le lit de repli de ma conscience déchirée."

 

elle regarde maintenant sa main caressante au ras de la terre.

 

elle me dit encore :

- "écoute la musique, regarde la lumière jusqu'à l'épuisement, jusqu'à la confusion des sensations."

 

d'un geste brusque et inattendu, elle remet sa main droite sur sa jambe pliée.

 

 

 

Quatrième tableau : "elle me dit..." II

 

 

elle me dit :

- "l'errance n'est pas une promenade légère mais un égarement, une perte de soi-même.

on est à la recherche du lieu recevable, celui qui peut être habitable pour soi.

Exil parfois immobile, sans rapport avec la flânerie.

Exil comme imposé auquel tu succombes sans savoir pourquoi, jetée hors de toi-même.

il ne conduit nulle part. mais tu vagabondes encore, avec persévérance."

 

elle regarde ses mains.

 

elle me dit :

- "il y a une curieuse sensation de plaisir parfois dans l'errance,

dans ce non-attachement,

dans cette fluctuation permanente de l'être,

dans le doute,

car pourquoi finalement ne pas être heureuse dans l'incertitude ?..."

 

elle cache un sourire sous ses mains.

 

elle me dit :

- "n'es-tu pas devenue l'espace intermédiaire lui-même,

la frontière où tu erres,

en tentant toujours de relier les lieux du monde et le lieu de ton être,

celui de l'intimité?

pour accéder au lieu singulier et habitable,

ne dérives-tu pas vers le Dehors ?..."

 

elle repose ses mains sur ses genoux.

 

elle ajoute :

"et l'art de la fugue ?..."

 

elle noue maintenant ses mains dans un mouvement très doux.

  

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